Une Journée particulière
- Angélique Ristic
- 19 juil. 2017
- 13 min de lecture
Pourtant, la veille, rien ne le laissait deviner. Coup de fil d’une collègue : demain à 11 heures, devant le Palais de Justice, manif en soutien aux adolescents migrants qui errent, seuls et abandonnés de tous, dans les villes de Rouen et du Havre car l’Etat, fidèle à lui même et à l’esprit de notre époque où plus personne n’est responsable de rien, leur refuse un toit.
Le lendemain à 11 heures, le soleil illumine la place du Maréchal Foch. Selon moi, les manifestants ne sont malheureusement pas nombreux mais ils se sont évertués à travailler leur visibilité afin peut-être d’émouvoir des passants trop pressés et gavés de malheurs via les médias : au centre de leur rassemblement, un zodiac sur lequel s’assoient à califourchon et à tour de rôle des adolescents migrants plutôt souriants.
Personne ne crie de slogan mais ça discute à n’en plus finir.

Il y a les militants qui expliquent la situation à ceux qui (comme moi) sont venus grossir les rangs en signe de soutien. Et voilà que j’apprends que l’ASE (Aide Sociale à l’enfance) soumet ces adolescents à des entretiens qui virent au cauchemar. Soupçonnant ces jeunes de mentir sur leur âge afin de bénéficier d’un logement, elle les interroge sans ménagement et tire des conclusions qui m’ont semblé incroyables par leur bêtise, leur mauvaise foi, pour ne pas dire leur racisme : ces jeunes ne sont plus des adolescents puisque… puisque ils n’ont plus d’acné, puisqu’ils ont trop de muscles, puisque leur mâchoire est trop forte… J’en ai déduit que les salariés de l’ASE supportent des conditions de travail fort pénibles. Ils ne reçoivent que des ados repoussants : visages étroits et boutonneux, corps malingres et de petite taille, l’horreur quoi. J’écoute outrée mais finalement guère surprise d’entendre que l’Etat ne respecte pas ses propres engagements à savoir la loi du 14-03-2016 qui contraint les autorités publiques à une prise en charge des mineurs isolés dès leur arrivée par l’ASE. J’écoute mais j’observe aussi : ces militants qui causent qui causent, qui distribuent des tracts, qui alpaguent les passants, qui parlent aux adolescents en les appelant par leur prénom sont souvent âgés. Ils ont l’énergie de la jeunesse. Mais la jeunesse n’est pas là. Ou si peu. J’ai beau balayer ce rassemblement du regard : je vois bien plus de retraités que de jeunes. Ca m’interpelle et je ne sais que penser de ce constat. Les gens comme moi, venus en mode « soutien de citoyen » me semblent nettement moins nombreux que les militants. Dont l’origine associative est très variée. Il y a là les militants de : Médecins du Monde, RESF-Rouen, RESF-Eure, AHSETI Le Havre, Réseau Solidarité Migrants, Welcome, Amigrants, Itinérance Dieppe, Collectif 76 des travailleurs sociaux, Ligue des droits de l’Homme, Collectif des Sans papiers, Cimade. Ca en fait du beau monde engagé. Et tous semblent se connaître. En plus de ces militants dont l’engagement se concentre autour du soutien aux migrants, il y a tous les autres activistes en tous genres. Je reconnais là des syndicalistes CGT, des syndicalistes de SUD. Je vois aussi des photographes, des journalistes, des caméramans de France 3 Normandie ; quelques jeunes à aux allures altermondialistes ; l’incontournable hurluberlu qui parle à tout le monde –cheveux ébouriffés, tête penchée, chemise à carreaux– et qui tient des propos très censés mais dans un flot si ininterrompu que tous se débrouillent pour le fuir gentiment mais surement. A forcer d’observer et d’écouter les conversations, je finis par comprendre qu’il y a là des comédiens mais aussi et surtout un homme (dont la présence s’avèrera selon moi essentielle) à savoir David Bobée, directeur du CDN de Rouen. Clope au bec, tracts en main, l’oreille collée au portable tout ce petit monde discute, déambule et évoque des histoires de citoyens résistant au pouvoir, à l’injustice, à l’indifférence.

Car il faut bien occuper le temps : ce n’est pas une manif où le paysage urbain divertit l’esprit. Non. C’est une sorte de sit-in où personne ne s’assoit et qui va être long, ça ne fait aucun doute. Dieu merci un journaliste occupe mon attention par une interview au cours de laquelle Bernard Vigier (bénévole à Médecins du Monde) évoque entre autre l’âge des migrants. Je capte alors la voix de la révolte et de l’altruisme : une dame, debout à mes côtés, me murmure « Franchement, on s’en fout qu’ils ne soient pas mineurs, faut juste les aider, quel que soit leur âge, qu’est-ce qu’on
s’en fout ! »… Tout à fait d’accord ma bonne dame. Vers midi, c’est au mégaphone qu’une des militantes annonce : « Ne partez pas, soyons nombreux, demandez à vos amis de venir, soyez relayés car à 14 heures nous allons tous aller occuper les couloirs de l’ASE afin d’obtenir une solution, un logement pour ces ados ». Le sit-in a désormais un objectif. Je décide donc de ne plus le quitter ; cette journée sera ma modeste (et donc… coupable) contribution au soutien des migrants. D’ailleurs, il est 13 heures, on commence à avoir faim. Ni une ni deux, les militants font le tour de tous et récoltent des sous pour acheter à manger aux ados. Un fois rassasiés, tous démarrent en même temps, direction l’ASE rue de Crosne. Et je suis étonnée : tout semble se faire dans l’improvisation la plus totale, de façon un peu anarchiste, entre militants qui s’interpellent et, finalement, tout s’organise à merveille.
Vers 14h20, nous voilà maintenant dans les couloirs de l’ASE : un porche, un hall d’immeuble en pierres de taille, sur sa droite un renfoncement plus étroit qui semble mener aux bureaux, et au bout une cour pavée. On place le zodiac dans le renfoncement. Puis tout le monde s’installe au hasard. De toute façon, ça bouge, ça circule. Car on s’ennuie, il faut bien le dire. Et les discussions de reprendre. Le temps s’étire. Un des adolescents s’endort dans le zodiac. J’interroge les militants. Je découvre que beaucoup œuvrent en faveur des migrants depuis presque 5 ans. Leur engagement est un travail qui ne connaît pas de répit car c’est un combat quotidien contre l’Etat et son bras armé, l’administration. En les observant, là, sous ce hall, je devine : ces militants sont sur tous les fronts et ne lâchent rien ; ils se téléphonent en permanence, cherchent telle ou telle personne susceptible de fournir une aide, de jouer de son influence ; ils envoient des photos, des films sur les réseaux sociaux pour éveiller, réveiller, alerter ceux qui comme moi dorment dans leur confort ou ne s’engagent qu’une journée. C’est pour cela qu’ils s’adressent aux ados par leur prénom, c’est pour cela qu’ils les embrassent, leur lancent des plaisanteries : ils les connaissent
car ils passent bien du temps avec eux. D’ailleurs, je crois comprendre qu’une famille de migrants arrive pour gonfler les rangs : c’est une famille qui semble nouvellement installée en France. On discute avec la mère. Et soudain, le parallèle me saute aux yeux : si, en raison de leur engagement permanent et de leur dévouement aux migrants, les militants m’apparaissent comme des hommes et des femmes incroyablement courageux et surtout généreux, les migrants, eux m’apparaissent tout aussi braves : cette mère à qui je parle, sourit sans cesse et s’exprime, avec une obstination remarquable, dans un français maladroit. Et j’imagine alors que la tragédie a forgé son caractère et sa philosophie : sourire, tenir bon, s’obstiner malgré l’adversité. J’en suis toute décontenancée car après moins d’une journée de combat, sous ce triste hall bourgeois où je ne risque rien, j’ai déjà envie de me plaindre : j’ai mal aux pieds, j’ai trop chaud, je m’emmerde, j’ai faim… Et je me dis : c’est comment une journée sur un zodiac avec son enfant dans les bras ? C’est comment une journée dans la rue quand on a 15 ans ? C’est comment une journée de militant qui passe son temps à toquer aux portes des administrations ?
Heureusement, mes pitoyables interrogations de petite-bobo-qui-se-sent-coupable-de-ne-rien-faire pour-changer-le-monde sont interrompues par l’arrivée de la police en fin d’après midi. Étonnamment, leur arrivée laisse tout le monde indifférent. Deux ou trois d’entre eux s’installent à l’accueil derrière les vitres du renfoncement. Leurs fourgons bleus stationnent devant le porche. On en voit quelques-uns qui bombent le torse juste devant. Très vite plus personne ne pense à eux. Ils semblent calmes. Ils semblent être là, histoire de respecter le folklore. Et les discussions reprennent de plus belle. Faut tout de même s’occuper. Alors on pose pour une photo. Alors on sort les parapluie dès les premières gouttes. Les adolescents migrants sont trempés. Aucun d’eux ne se plaint. Et je me dis encore : après avoir parcouru des milliers de kilomètres sur un zodiac, ils ne vont pas trembler devant ces quelques gouttes normandes. Timidement je propose à l’un d’entre eux de passer sous mon parapluie. Je me sens très stupide.
Franchement le temps me semble bien long. Car, rien ne se passe. Ah si tout de même : les salariés de l’ASE quittent leur travail. Les uns derrière les autres, en file indienne. Et je suis estomaquée : personne ne les insulte, personne ne les interpelle. Est-ce la présence des policiers à l’accueil qui cloue le bec à tout le monde ? Est-ce la politesse, le respect propre à ces militants qui génère un tel calme parmi la foule présente ? En tout cas : pas de bousculade, pas de cri, pas d’injure. Tout se déroule tranquillement. Mais qu’est-ce que je m’ennuie ! Les rumeurs me révèlent qu’on attend une militante que tous connaissent : elle est allée au département pour gueuler un coup et exiger que les adolescents soient logés ce soir. Les militants sont plutôt confiants. D’autant plus qu’il y aurait peut-être un plan B : certains racontent que David Bobée serait prêt à accueillir les migrants dans son théâtre. Cependant d’autres déplorent ce genre de solutions : précaires, provisoires, inadaptées… Bref ça continue à causer, à s’insurger. Ca finit par s’inquiéter car nulle nouvelle du front. Je taxe une clope. Fais connaissance avec un militant. Je le perds de vue. Parle à un autre. Je le retrouve. Je refume. Et soudain la nouvelle tombe. Elle est sans appel : l’administration ne propose rien, les adolescents dormiront donc dans la rue ce soir. C’est la consternation générale. Tous saisissent leur portable. Faut trouver une solution d’hébergement pour ce soir. Une militante crie, mi-figue mi-raisin « Si quelqu’un a une idée pour ce soir ! On est preneur ! ». Et je tombe des nues. Comme si je passais de l’abstraction de l’information médiatisée au concret de la réalité militante et humaine, je comprends enfin : puisqu’aucune solution n’est proposée par les autorités, les adolescents assis devant moi dormiront dehors. Je comprends aussi ce que signifie être un militant : moi, je vais rentrer chez moi me glisser dans mes draps ; le militant, lui ne quitte pas l’adolescent condamné à la rue. Je mesure tout ce qui me sépare de ces militants : je ne suis pas encore prête à renoncer à mon confort, à le mettre entre parenthèses plus d’une seule journée. Faut bien le dire : j’ai honte.
Les militants demandent à tous de patienter. On va voir ce qu’on va faire. On va chercher des solutions. Mais ce qui est certain : on ne part pas de notre plein gré. On va bien faire chier l’ASE. Et puis soudain, je remarque ce qui ce trame. On est en fin d’après midi. Arrive un petit homme, trapu, vêtu d’une chemise impeccablement blanche aux insignes de la police. Il serre la main de l’un des organisateurs. Je l’entends dire : « Nous allons vous déloger incessamment sous peu. Je suis un brave petit soldat ». Je m’attends à ce que les policiers qui s’agitent agissent vite. Mais non : rien ne se passe. On les voit entrer dans les locaux. On spécule sur l’endroit d’où ils ressortiront. Et puis rien : on les oublie. Il pleut de plus belle. On se tasse sous le hall. La pluie cesse. On s’éparpille de nouveau. Les policiers vont et viennent. On ne fait plus attention à eux. Le temps s’étire. De nouveau la pluie. De nouveau tous tassés sous le hall. Les minutes passent et se ressemblent. Les conversations vont bon train. Une jeune fille frêle lit un livre devant moi, avec obstination et concentration. Je lui fais part de mon admiration : lire debout comme ça… pas facile… ça doit être un sacré bon bouquin. On se met à papoter avec la maman. La pluie continue, pas forte mais opiniâtre. Alors un adolescent entame un refrain improvisé : « Dormir à la rue, c’est pas bon ». Tout le monde reprend. D’abord timidement puis plus fort. Voilà l’ado au milieu du hall agitant ses mains comme un chef d’orchestre. On est ému. C’est amusant. Une policière surgit alors devant le porche. Elle parle dans son mégaphone : « Première sommation : veuillez… » Et tout le tralala. On voit les policiers bouger, aller à droite à gauche. Ils sont calmes. Rien ne se produit. Alors on les oublie. Il pleut toujours. Plus tard dans la soirée, un comédien me racontera qu’il avait un peu bousculé un policier en voulant s’abriter sous le hall, qu’il s’était excusé un peu penaud et que le policier lui avait répondu par un bon et franc sourire.
Et il pleut toujours. Et nous on chante. Et ce policier sourit. Et c’est la bousculade.
Inattendue. Brutale. Car un policier peut sourire et aussitôt charger. Je suppose qu’il a été formé aux actions paradoxales afin que son esprit accepte plus facilement l’inacceptable, le contradictoire, la mauvaise foi. Bref : l’incohérence irresponsable de l’état, laquelle peut s’énoncer de la façon suivante : il existe une loi qui protège les mineurs ; l’état ne respecte pas cette loi ; l’état punit ceux qui en demandent le respect.
Et comment donc l’état punit-il ces énergumènes désireux de défendre une loi qui protège les mineurs ? Eh ben en chargeant lesdits énergumènes, pardi !
Or donc : nous on chante et eux ils chargent. Je vois la masse des gens bouger comme un seul homme vers moi et la gamine au bouquin. Un gros bloc de gens qui n’ont plus leur autonomie, qui ne répondent plus de leur mouvement, qui vont de l’avant et qu’on ne peut pas arrêter. Nous voilà tous brutalement serrés comme des sardines dans le hall, à ne plus pouvoir marcher, à nous sentir soulevés du sol, à pressentir qu’on va tomber les uns sur les autres, qu’on va s’écraser. Une femme crie « Mes lunettes ! » Je la vois paniquer à l’idée de ne plus rien voir. Je vois un bras écrasé contre le mur tandis que le buste va de l’avant. Je lâche mon parapluie. Mes pieds ne touchent plus le sol, je sens que je vais tomber sur la gamine. Mais soudain me voilà dehors. Dans une formidable cohue de bras, de jambes, de têtes, de bustes. Ca hurle dans tous les sens. « On n’est pas des chiens ! » lance un adolescent la tête haute, le cou tendu pour s’extirper de la foule, comme désireux de se ruer sur les policiers. Les adolescents explosent. Crient leur colère. Crient leur humiliation. Les militants les attrapent, tentent de les retenir physiquement. Trop tard : l’un d’eux leur échappe. Il est emmené dans le fourgon. Ses copains sortent de leurs gons. Ils gesticulent, ils veulent en découdre. Ils se jettent vers les policiers. Mais les militants veillent. Les attrapent par leur t-shirt. Les retiennent. Leur parlent. Finissent par les calmer.
Voilà. C’est fini. Tout cela n’a duré que quelques instants.
Comme par magie les policiers se sont alignés. Ils ont formé une parfaite barrière humaine. Jambes écartées, torses bombés. La caricature de l’état policier. Derrière eux, les fourgons. On voit l’adolescent forcé d’y entrer. On entend une voix qui s’élève. Toute éraillée. Hystérique. Je crois me souvenir, c’était quelque chose comme : « Vous n’avez pas honte ? ».
Et aussitôt, un silence total. Certains pleurent. Surtout les adolescents. D’autres cherchent des clopes. Parmi tous ces jeunes garçons, la seule fille est en larmes. Ce sont de grosses larmes d’enfant qui coulent sur ses joues douces et rondes. Moi, je tremble de la tête aux pieds, j’ai le ventre noué de tristesse. Alors elle. Combien sa détresse doit être lourde de douleur. Comme elle est impuissante cette jeune fille. Et comme le monde est laid.
Laid et fier de l être… Le policier trapu en chemise blanche est de retour. Dos droit, épaules en arrière, main gauche à la ceinture. Il passe devant les policiers. Serre la main à chacun d’entre eux. Que dire ? Si ce n’est que, la violence (quelle qu’elle soit) s’accompagne toujours d’une arrogance à vomir.
Peu à peu je retrouve mes esprits. Je me rends compte que les militants n’avaient pas perdu le leur. Certains ont tout filmé. D’autres commencent à alerter les amis, à se ruer sur les réseaux sociaux. Tous n’ont qu’une seule idée en tête : obtenir la libération de l’adolescent embarqué. Et ils vont l’obtenir. Comment ? Je l’ignore. Mais j’ai vu que les policiers s’adressaient souvent à l’un des organisateurs (un homme très grand, mince, à la tignasse poivre et sel qui avait serré la main au policier ravi de lui apprendre qu’il était « un bon petit soldat ») et à David Bobée, lequel a passé sa journée à alerter France 3. Je soupçonne les policiers d’être aussi pleutres que violents. Comme moi, ils ont entendu que toute la scène avait été filmée, comme moi ils ont entendu que David Bobée était en contact avec France 3 Normandie, comme moi ils ont deviné que David Bobée n’était pas homme à abandonner. Violents face à une foule de militants plutôt âgés mais pleutres face aux médias nationaux ? Toujours est-il que l’adolescent est vite relâché. Je crois que c’est David Bobée qui l’emmène en voiture.
Où donc ? A l’hôtel de ville ! Car là, y a une sacrée belle exposition qui nous attend tous. Elle s’intitule : « Changeons le regard sur les réfugié-e-s ». Elle mêle, nous disent les sites d’internet, peintures, photos et sculptures. Le titre est fabuleux… Faut changer notre regard… mais pas notre politique ? Au rez-de-chaussée, j’ignore ce que les adolescents ont pensé de l’immense affiche dont le texte déversait une pensée frileuse et hypocrite : on y apprend que la ville de Rouen accueille les migrants avec générosité. Youpi, non ? J’ignore ce qu’ils ont pensé de ces photos qui montraient des hommes et des femmes, dans la tourmente de la Seconde guerre mondiale, l’air misérable, leurs valises à la main, fuyant d’innombrables dangers et comme abandonnés de tous. Ils sont restés plantés devant, silencieux. A l’étage, j’ignore ce qu’ils ont pensé de la magnificence de la salle aux immenses baies vitrées, aux lourds et gigantesques rideaux de velours pourpre, eux qui ce soir-là allaient certainement dormir à la rue. Ils sont restés assis bien sagement tandis que des bourgeois achetaient des œuvres dont le prix était reversé aux associations militantes. J’ignore si, comme tous les ados, ils ont été contents d’entendre que les militants les emmenaient manger dans un kebab.
Mais sur le chemin du retour, je sais ce que moi j’ai pensé. Comme dans le film d’Ettora Scola j’ai vu (ou revu…) ce que l’état pouvait engendrer de plus révoltant. Cependant, dans mon grand pessimisme, je dois bien avouer avoir vu autre chose. J’ai vu des hommes et des femmes dont la solidarité, le courage, l’engagement m’ont renversée. J’ai donc pensé qu’il serait temps que j’agisse. C’est difficile car, comme me disait un ami avec lequel j’échangeais des sms : la honte, c’est très confortable.
Sauf que : dormir à la rue, c’est pas bon.
Crédits photos : © Legacy News
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