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Lettre à celles et ceux que j'ai élu (à celles et ceux que je n'ai pas élu, à celles et ceux

  • Enora Chopard
  • 7 mai 2017
  • 5 min de lecture

Ce weekend, je suis allée me promener. J'avais envie de laisser mes pensées couler avec la Seine. J'ai descendu le boulevard des Belges. Tout était gris. En traversant au feu

rouge à un passage piéton, j'ai pensé à l'énergie et au temps perdus à essayer de respecter les règles de jeux auxquels nous n'avons jamais demandé à jouer. Il y avait beaucoup de voitures. C'était marrant, parce qu'une heure avant je discutais avec un pote de la pollution de l'air, de l'absence de prise de décisions politiques sur cette question majeure de santé publique. Je me suis dit qu'on pourrait y ajouter celles de l'agression visuelle et sonore, mais que ça non plus ça n'avait au final pas l'air de déranger grand monde.

J'ai continué vers les quais. J'aime bien les quais à Rouen. Je les ai toujours bien aimé, même si ils étaient tout moches et que malgré une nette amélioration ils le sont toujours

un peu. On y a organisé des apéros militants, on y a fait des tags en mousse, j'y ai fumé un nombre certain de petits joints en profitant d'un coucher de soleil ou juste du mouvement de l'eau. De l'espace. J'y ai souvent été amoureuse, même. Mais ce weekend, c'étaient les 24H motonautiques.

Je ne m'en rappelais même pas, alors que je venais de passer 2 jours à râler à ce sujet. Et vous savez pourquoi ? Parce que je m'en tapes complètement. Et non seulement je m'en tapes complètement, mais je trouve que c'est affligeant qu'on nous impose encore, physiquement et financièrement, ce petit spectacle déprimant de joujous bruyants qui

tournent en rond sous la pluie pendant des heures. Donc voilà, ma ballade était gâchée. Basta con la passegiatta. Je suis passée devant les barnums vides, les grues décharnées, devant ce monumental gaspillage d'argent et d'espace publics sans les regarder.

Il y avait aussi des gros bateaux de croisière qui bouchaient la vue. Entre les rampes d'accès à tapis rouge, les rideaux étaient tous tirés sur l'oisiveté de ces petits mondes de

privilèges auxquels beaucoup aspirent à accéder. Sur ces sales coquilles vides.

Il y avait tous ces bars prétentieux où l'on paye au prix fort le droit de profiter du fleuve qui nous appartient à tou-te-s, et surtout qui n'appartient à personne.

Je suis passée devant ce hangar ou 3 jours avant j'avais assisté à la présentation du PLU de la métropole. Où pendant des heures de langue de bois parfaitement maîtrisée, on nous avait démontré que ce document qui va orienter l'aménagement de notre vie pendant plusieurs années n'est pensé ni par, ni pour les principaux-ales concerné-e-s.

Étrangement, cette déconnexion presque totale semblait être une fierté, un exercice bien exécuté. J'étais partie quand, après un laïus sur la prise en compte de la demande de modes de transports doux dans les contributions à l'enquête publique, la responsable de l'urbanisme avait répondu à une question sur la réouverture des gares de proximité qu'il était impensable d'encourager le transport ferroviaire alors qu'on n'avait aucune preuve de la rentabilité de cette démarche.

J'ai quitté les quais et attendu à un feu interminable et infranchissable. Où vont toutes ces voitures ? Sûrement pas vers des gares de proximité, en tout cas.

Et puis j'ai écrit ce texte sur le parvis de l'église de la Madeleine. Devant la préfecture. En m'y asseyant, je me suis rendue compte que je me demandais si j'en avais le droit, si on n'allait pas venir me demander de déserter le plancher. Etrange, ce sentiment ? Bah non, pas vraiment. Ça fait plus d'un an que les seuls rapports que j'ai aux lieux publics sont tâchés de malaise, de peur, de frustration. Parce que je ne supportes plus l'arrogance et la violence symbolique et physique des pouvoirs et de leurs représentant-e-s en bleu Marine. Et ne nous faites, ne vous faites pas l'affront de demander pourquoi. A l'ère de l'information, il est facile de trouver les réponses quand on ne cherche pas à se voiler la face.

A l'abri de la pluie, entre deux imposantes colonnes, je voyais cette succession de pelouses vides et rigides. Tant de vide, si peu d'air. Avec au bout ce putain de cylindre

bleu, ce foutu bouchon de plastique sur la perspective. Encore une coquille vide. Bien laide celle là, par dessus le marché.

Je suis allée marcher parce que j'étais pleine de colère et de désespoir. Le vrai : l'absence d'espoir. Jamais encore je n'avais ressenti ça. Je suis loin d'être la seule d'ailleurs en ce moment. A chaque pas que je faisais dans ma ville, là où j'aurais du trouver du réconfort, des repères amis, c'est le contraire qui se produisait. La où j'aurais du respirer l'odeur du printemps, j'avançais dans un nuage opaque, un arrière goût de métal dans la bouche. Toute cette tristesse des idées se matérialisait en tristesse sensible. Visible, palpable. Et cette promenade qui se voulait apaisante m'a hurlé au visage le froid et la rigidité de notre société.

J'ai travaillé pour et avec des élu-e-s locaux-ales, la fonction publique territoriale. J'en ai compris les rouages, les codes, les personnes, leurs envies et le contexte interne qui

étouffe tous-tes celles et ceux qui y travaillent d'une manière ou d'une autre. Je sais qu'on y croise beaucoup de bonnes volontés déçues et ce n'est pas à elles-eux que je m'adresse en premier ici. Aux autres, regardez un peu autour de vous. Vos petits enjeux de pouvoir internes, de postérité, votre suffisance méprisable et passéiste, vos idéologies étriquées déshumanisent nos vi-ll-es. Et n'ont rien à voir avec la réalité. La réalité c'est que partout, il y a plein d'idées qui germent et qui n'ont pas besoin de vos conseils, encore moins de votre avis, pour s'épanouir. Et qui ne devraient pas avoir à attendre votre approbation. Nous en avons assez de vous voir couler cette chape de béton sur nos rêves, sur les couleurs du monde.

Au coeur de la ville, il y a un bâtiment qui devrait y battre 100 fois par minute. Au rythme de la vie. Au lieu de ça, il fonctionne au tempo morne et lourd de l'Ecole Nationale

d'Administration. Et cette ville à laquelle il devrait transmettre la vie à chaque pulsation, s'en retrouve privée.

Cette lettre n'est pas une attaque, pas une provocation, presque pas un reproche. C'est un constat, un cri de mon coeur qui bat bien, lui, et qui étouffe dans la ville où il a commencé à battre il y a 25 ans et 8 mois dans le ventre de ma maman. Où ceux de mon père, mon frère, ma soeur et celui de beaucoup des personnes que j'aime le plus au monde continuent à y battre. Où ceux de ma grand mère et de mon grand père se sont endormis.

Ce sont plein de gens, avec plein de coeurs, qui vous en ont donné les clés. Soyez à la hauteur de cet immense honneur. Et si vous n'en êtes pas capables, rendez-les nous, ou nous viendrons les chercher. Ce sera le meilleur des remèdes.

A la peste, comme au choléra.

 
 
 

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