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Injustice de classe

  • Matthieu
  • 18 janv. 2017
  • 9 min de lecture

Et si 2017 commençait comme a terminé 2016. Justice de classe, mépris de classe, injustice au grand jour, élection présidentielle avec des candidats « anti-système » du système. Nous vivons l’étape ultime d’un système qui sombre, ne se remet pas en question et même s’assume.


En prenant un peu de recul sur cette année passée, on constate la fin d’un idéal de justice sociale et la victoire d’une justice de classe au service d’un capitalisme incontrôlé. Criminalisation de l’action syndicale par les dominants, violences policières, simulacre de procès de femmes et hommes politiques, légitime défense différenciée, voici la synthèse de l’année 2016 sur laquelle nous allons revenir.


Retournons au début de l’année avec les 8 ex-salariés de l’entreprise Goodyear d’Amine-Nord. Le 12 janvier, le tribunal les condamne à 2 ans de prison dont 9 mois fermes pour la séquestration de deux cadres de l’entreprise. Pourtant, ces deux cadres en question ont retiré leur plainte. C’est alors le procureur de la République qui a décidé de poursuivre le procès. En octobre, s’ouvre le procès en appel pour la relaxe des 8 Goodyear. Les syndicats, notamment CGT, se mobilisent pour faire pression sur la décision des juges et que s’arrête ce procès qui criminalise l’action syndicale.

Arrêtons nous quelques instants sur la situation de l’entreprise Goodyear. 1143 salariés sont mis sur le carreau par la fermeture de l’usine, l’entreprise refuse la reprise en coopérative par les salariés. En 2016, seules 401 des ex-salariés ont retrouvé un emploi. Cerise sur le gâteau pour la nouvelle année. Le tribunal vient de condamner 7 des anciens salariés à des peines de prison avec sursis ; jusqu’à 12 mois. Seul un ex-Goodyear est relaxé.


Justice de classe


On peut se dire que c’est le travail de la justice. On peut mettre en avant son indépendance et son impartialité. Mais on peut aussi pointer du doigt les manques de moyens dont elle nous alerte si souvent. La rétrospective de l’année nous dépeint une tout autre justice. Une justice à deux vitesses, celle des pauvres, rapide et efficace et celle des riches, lente et complexe. Une justice classée au 37ème rang européen sur 43 pays (a). Prenons l’exemple de Christine Lagarde. Lorsqu’elle fut ministre de l’économie sous la présidence de Nicolas Sarkozy, elle ne fit pas de recours contre l’arbitrage favorable à Bernard Tapie ; arbitrage de 400 Millions d’euros contre le Crédit Lyonnais en 2007. La Cour de Justice de la République [CJR] l’a condamnée le 19 décembre pour « négligence » mais l’a dispensée de peine. Oui « dispensée de peine ». Elle a permis à M. Tapie de récupérer 400 Millions d’euros alors qu’elle avait des responsabilités politiques au plus haut niveau de l’État. Et 8 salariés, licenciés comme des mal-propres par une entreprise qui recherche le profit avant tout, sont condamnés à de la prison avec sursis pour avoir séquestré pendant 30h deux cadres dans des conditions dignes, sans violences. Comment accorder du crédit à cette justice ?


Nous pouvons nous interroger sur la question de la violence, celle qu’on palpe, qu’on voit, qu’on assimile et la violence symbolique, celle qui s’insinue dans nos pensées, que l’on intègre et que l’on accepte. Laquelle est la plus violente, laquelle fait le plus de dégât ? Est-ce plus violent de licencier des milliers de salariés pour faire du profit en délocalisant dans des pays à bas coût ou de séquestrer quelques heures des cadres sans violence physique ? La justice nous donne une réponse malheureuse.


Reprenons un peu d’espoir. Mercredi 8 décembre, le tribunal correctionnel de Paris a condamné Jérôme Cahuzac pour « fraude fiscale et blanchiment d’argent » ; 3 ans de prison ferme et 5 ans d’inéligibilité. L’information judiciaire à l’encontre de J. Cahuzac a été ouverte le 19 mars 2013 et il a été mis en examen le 2 avril après ses aveux aux juges d’instructions. Le procès s’est ouvert en avril 2016 mais a été reporté suite au dépôt d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité [QPC] ; le procès a repris le 5 septembre et la condamnation est tombée le 8 décembre. Comme le tribunal n’a pas requis de mandat de dépôt, J. Cahuzac peut faire appel et par conséquent faire traîner l’application de sa peine sans passer par la case prison. Connaissant les lenteurs de la justice lorsqu’il s’agit de juger et condamner les puissants, M. Cahuzac pourra encore profiter longtemps de l’air pollué de la France, ou peut-être choisira-t-il de se reposer de ses frasques judiciaires dans les douces montagnes suisses.


Justice à deux vitesses


Alors, oui la justice est lente, on entend cette vieille rengaine depuis longtemps. C’est possiblement la cause des baisses de financement qui se succèdent malgré les jolis discours des politiques en campagne. Vérifions cette lenteur de la justice avec l’affaire Adama Traoré. A. Traoré, jeune de 19 ans de Beaumont-sur-Oise a été tué après son interpellation musclée par 3 gendarmes le 19 juillet 2016. Le 1er août, après de multiples requêtes, la famille via son avocat a déposé une plainte pour « violence volontaire ayant entraîné la mort sans intention de la donner ». Puis le 6 août, ils ont déposé une autre plainte auprès d’un gendarme pour « faux en écriture publique aggravé ». Le 14 septembre, c’est une plainte pour « non assistance à personne en danger » qui fut déposée, suite à la révélation d’un pompier arrivé sur les lieux et constatant A. Traoré, le pouls très faible, toujours menotté.

L’affaire s’est envenimée entre la famille, à travers Assa Traoré la sœur d’Adama, leurs deux frères Ysoufou et Bagui, la Mairie et les forces de l’ordre. Le conseil Municipal de Beaumont-sur-Oise du 17 novembre se prononçait pour engager les frais des contribuables dans la plainte pour « diffamation » déposée par Natahalie Groux, Maire de la ville contre Assa Traoré. A la suite de ce conseil, arrêté par l’opposition, le ton est monté entre force de l’ordre et les soutiens de la famille Traoré. Gaz lacrymogènes, tirs de flash-ball étaient au menu de la soirée. 6 jours plus tard, Bagui et Ysoufou Traoré sont interpellés et incarcérés pour « violence, menace et outrage » envers 8 policiers et Bagui accusé d’avoir donné un coup ayant entraîné un jour d’ITT [Incapacité de Travail]. Le 14 décembre se déroulait le procès des frères Traoré. Ils ont été condamnés à 8 mois pour Bagui et 3 mois pour Ysoufou. Même pas un mois ne s’est passé entre l’interpellation et le jugement. La famille déplore et condamne la justice d’avoir bâclé l’enquête.


Justice à deux vitesses, les cas J. Cahuzac, C. Lagarde mais aussi N. Sarkozy, toujours pas jugé pour ses « possibles » délits et le cas des frères d’Adama Traoré jugés expressément. Notons aussi que les gendarmes concernés dans la mort d’Adama Traoré ne sont toujours pas jugés en ce mois de janvier 2017. On entend déjà les chiens de garde du système invoquer la présomption d’innocence et la complexité des affaires politico-économiques.


Adama Traoré tué par des gendarmes fait écho à une année 2016 où les violences policières ont fait rage, notamment durant la période de manifestations contre la loi travail. De nombreux manifestants ont été violentés, ont reçu des grenades de désencerclement et, malheureusement, de nombreuses bavures ont eu lieu. L’ensemble des agents de la pensée unique, médias et politiques, ont fustigé la violence des manifestants. Cependant le plus grand nombre de blessés n’est pas du côté de la police. Et comble de la provocation, cette même police qui a répondu de manière violente aux manifestations contre la loi travail, qui a tué A. Traoré en étant à trois sur son dos pour l’interpeller, cette police là, décide de manifester arme de service en poche dans les rues de Paris pour demander plus de moyens et un assouplissement des règles de légitime défense. Tuer et éborgner des manifestants, des jeunes, des militants ne leur suffit plus. Ils veulent pouvoir tirer quand bon leur semble sans aucun contrôle. Contrôle qui d’ailleurs est simplifié depuis novembre 2015 et l’état d’urgence qui se prolonge quasi automatiquement. Et victoire pour eux, le gouvernement s’apprête à répondre favorablement à leur demande.


Légitime défense


Alors, risque terroriste oblige, on nous serine de dangers imminents, des forces de l’ordre qui se doivent d’être près à toute éventualité et dont la légitime défense est l’un des outils. Avoir le permis de tuer pour des raisons qui peuvent être fumeuses ; j’ai cru que le mec allait sortir une arme alors j’ai tiré . Notre inconscient l’intègre et le spectre d’une américanisation de notre société se dessine. L’opinion publique intègre cette rengaine et accepte moins de libertés pour plus de sécurité. Alors « oui » à la légitime défense se dira-t-on.


Et si une femme tue son mari qui la violente régulièrement ; mari qui viole ses filles et bat son fils ; fils qui se suicide. Doit-on condamner cette femme pour meurtre ou peut-on considérer qu’il y a eu légitime défense. La justice française a décidé, en première instance et en appel de condamner Jacqueline Sauvage pour le meurtre de son mari à 10 ans de réclusion criminelle. En janvier 2016, F. Hollande lui accorde une grâce partielle, ce qui lui permet de faire une demande de libération conditionnelle auprès de la justice. J. Sauvage fait cette demande, qui lui est refusée en août 2016 par le tribunal d’application des peines de Melun.

Ce refus est motivé par le juge ainsi : il reproche à J. Sauvage « de ne pas assez s’interroger sur son acte » et estime qu’elle ne peut « prétendre vivre à proximité des lieux des faits, dans un environnement qui, compte tenu des soutiens dont elle bénéficie et de la médiatisation des faits, risquerait de la maintenir dans une position victimaire »(b).Le 28 décembre, le Président de la République dans un dernier sursaut d’humanité avant de quitter sa fonction en mai 2017 lui accorde la grâce totale et permet ainsi à J. Sauvage de passer la fin d’année près de ses filles.


La légitime défense ne revêt pas les même critères et la même approbation de la part de la justice. Il vaut mieux être un policier pour tuer qu’une femme battue qui tue pour protéger sa famille. L’état autoritaire s’incarne dans toute sa splendeur à travers ces histoires. Ce qui choque c’est la temporalité de l’injustice de la justice sociale à la française. Pendant que les policiers manifestent pour sortir leur arme plus vite, J. Sauvage se bat dans sa cellule pour qu’on lui reconnaisse la légitime défense et qu’elle retrouve un semblant de vie normale, si c’est possible après un tel vécu. C’est aussi la condamnation des ex-goodyear à quelques semaines de la dispense de peine de C. Lagarde. Il n’y a plus aucune gêne ou honte, ce système est capable d’une telle inégalité de traitement en si peu de temps. On ne noie plus le poisson, on assume.


Quels intérêts sert la justice ?


Cette justice n’est plus reconnaissable. Le citoyen se sent protégé car nous sommes, il paraît, dans un état de droit. La question c’est quels intérêts sert ce droit. Qui écrit la loi ? A qui sert-t-elle réellement ? Les affaires des lanceurs d’alerte nous donnent quelques indications. Et si la justice servait les puissants, les politiques, les multinationales, les intérêts économiques ?

On peut s’interroger au regard du procès, au Luxembourg j’en conviens, des lanceurs d’alertes Antoine Deltour, Raphaël Halet et du journaliste Edouard Perrin. Ils sont jugés pour avoir mis à jour un système d’optimisation fiscale orchestré par le Luxembourg via le cabinet d’audit PricewaterhouseCoopers (PwC). Pour avoir dénoncé la fraude fiscale de nombreuses multinationales, ces « lanceurs d’alertes » ont été condamnés en 1ère instance à 12 mois de prison avec sursis et 1500€ d’amende pour A. Deltour et 9 mois avec sursis et 1200€ d’amende pour R. Halet. Le journaliste E. Perrin a ,quant à lui, été acquitté. Cependant, les deux lanceurs d’alerte ont fait appel du jugement, ainsi que le parquet, ce qui conduit E. Perrin a être lui aussi rejugé.


L’État français, via ses instances politiques, a décidé de créer le statut de lanceur d’alerte dans la Loi Sapin II. Initialement était prévu un statut large du « lanceur d’alerte ». Le texte après plusieurs examens des chambres [Assemblée Nationale et Sénat] a été voté à minima. On peut noter, tout d’abord, le statut possible seulement aux personnes physiques ; donc exit syndicats, associations, etc. De plus, l’article 8 décrit le parcours du combattant que devra suivre le lanceur d’alerte ; passer d’abord par la voie hiérarchique de son entreprise. On peut imaginer la réaction de l’entreprise quant à la dénonciation de faits jugés illégaux et/ou immoraux, desservant l’intérêt général. Combien d’entre nous prendrait ce chemin là pour dénoncer les agissements de son employeur ? On constate dès lors que nos politiques ne défendent pas l’intérêt général et les citoyens mais garantissent aux intérêts économiques encore de belles années de prospérité entachées de fraudes et autres arrangements douteux.


2017 est une année électorale. Et comme toute élection, l’enjeu pour les candidats est de garantir la perpétuation de leur fonction, garder le cul posé dans de confortables sièges et garantir les intérêts de leur classe. Cependant, ils nous nourriront, dans les matinales radio, aux 20h des médias dominants, dans les pages de nos journaux et même sur youtube, de belles promesses, d’une république sociale qui vise à l’égalité de tous. Ils tenteront de nous faire oublier cette année 2016 pleine d’injustice qu’ils ont participé à construire par leurs lois, par leurs discours toujours plus proches de l’extrême droite. État d’urgence permanent, lanceurs d’alerte condamnés, politiques protégés par la justice, jeunes et manifestants violentés et tués par la police, nous n’en voulons plus ! Nous pouvons rêver d’une année 2017 autrement plus égalitaire et plus juste. Espérons que la hausse des budgets de la justice en 2017, soit plus 4,5 % par rapport à 2016 serve cet idéal. Pas le monde des bisounours, bien sûr, mais inversons le rapport de force et redonnons du pouvoir et de la force aux citoyens. Rendons la justice indépendante et égalitaire. Recréons une police de proximité qui sert à protéger les citoyens et non à les stigmatiser. Protégeons ceux qui veulent défendre l’intérêt général.


Et si on inversait la courbe ? Pas celle du chômage, celle de la justice sociale.






(a) https://blogs.mediapart.fr/edition/critique-raisonnee-des-institutions-judiciaires/article/090515/la-justice-francaise-37eme-sur-43-pays-europeens


(b) http://www.francetvinfo.fr/faits-divers/justice-proces/affaire-jacqueline-sauvage/de-la-condamnation-a-la-grace-l-affaire-jacqueline-sauvage-en-six-actes_1990315.html

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