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Interview de Christine P. 65 ans

  • Clément
  • 12 janv. 2017
  • 7 min de lecture

Dans le cadre de nos réflexions au Torchon, nous souhaitons tenter de comprendre, tout au long d'un dossier, le rapport des gens à leur travail. Philosophiquement parlant, quels liens animent les travailleurs avec leurs postes, leurs collègues, leurs expériences? Pourquoi travaillons-nous? Qu'est-ce que ça apporte réellement? En comprenant les enjeux liés au travail, nous espérons contribuer à sa désacralisation. Sans question type, nous avons juste des sujets à aborder, et nous nous laissons guider par la discussion. Si vous voulez interviewer autour de vous, faîtes le nous savoir.




Peux-tu m’expliquer quel était ton métier ?


« J’ai été embauchée en 1969 comme employée de pharmacie par la Mutualité de Seine Maritime ; j’avais 19 ans. A cette époque il n’y avait que la Pharmacie Mutualiste [à Sotteville-Lès-Rouen] qui faisait le tiers-payant dans la région. Il s’agissait de préparer les médicaments : les gens venaient apporter leurs ordonnances à la pharmacie qui se chargeait de préparer les médicaments et de les redistribuer ensuite. Par exemple dans les entreprises des alentours, les gens déposaient leurs ordonnances le matin à leur travail ; elles arrivaient chez nous, on les traitait et ils les récupéraient le soir, sans avoir eu à avancer d’argent. La pharmacie était ouverte du lundi au samedi et on travaillait par quarts (7h15-14h00 ou 14h00-20h45).

En fait j’étais opératrice de saisie. Avant qu’il y ait des ordinateurs, on pointait tout manuellement. Une équipe sortait les médicaments des rayons et les mettait dans des boîtes puis ça arrivait au rez-de-chaussée ou moi j’étais et on facturait les médicaments. Après avec l’informatique tous les médicaments étaient répertoriés dans l’ordinateur et je cochais en fonction des ordonnances. Tout ça c’était avant la carte vitale. J’ai occupé ce poste jusqu’en 1992. »


Et après ?


« Comme les pharmacies du privé ont progressivement commencé à faire le tiers-payant on avait beaucoup moins de monde. On a donc arrêté de faire les quarts et travaillé à la journée comme une pharmacie « normale ». En même temps la Mutualité a également ouvert d’autres pharmacies donc on avait beaucoup moins de monde à Sotteville car les gens préféraient aller près de chez eux. Comme il n’y avait plus assez de travail j’ai quitté ce site pour aller travailler à Rouen, au siège de la Mutualité, avenue de Bretagne.

Là j’ai été trois ans au service mutuelle : on faisait les remboursements de médicaments pour ce qui était l’ancêtre de la CMU [Couverture Mutuelle Universelle instaurée en 1999].Mon travail consistait alors à faire de la saisie de facture, du travail de bureau devant un ordinateur.

Cette mutuelle a ensuite été remplacée par la Couverture Mutuelle Universelle qui est d’ailleurs beaucoup moins avantageuse.

Ensuite, à partir de 1995, j’ai travaillé à l’accueil du service dentaire de la Mutualité, en contact direct avec le public. J’accueillais les patients, prenais leur carte vitale, donnais les rendez-vous…J’ai occupé ce poste jusqu’à ma retraite en 2016. »


Et ton travail, il te plaisait ? Qu’est ce qu’il t’apportait?


« Oui le travail me plaisait. De toute façon le travail c’est nécessaire pour vivre ; le travail c’est l’indépendance. Tu travailles pour pouvoir t’offrir ce dont tu as envie. Moi je n’aurais pas pu concevoir une vie sans travail parce que le travail permet de pouvoir faire ce qu’on veut et de se libérer, d’être indépendante et de pouvoir partir avec tes enfants sous le bras en cas de soucis. Ne pas dépendre d’un homme c’est primordial.

Et puis après il y a tout ce que le travail peut t’apporter en vie sociale. Je n’ai jamais déprimé au travail parce que je me suis adaptée et parce que j’aimais l’ambiance. Je faisais toujours la même chose, c’était assez répétitif mais comme tous les métiers au final. Nous on était vendeurs de médicaments et puis après à l’accueil tous les matins tu reçois les gens, tu donnes des rendez vous… C’était répétitif mais ça ne m’a jamais trop dérangée parce que j’ai eu la chance de toujours tomber sur de supers ambiances avec des collègues avec qui je m’entendais très bien. Je n’ai jamais été au travail à reculons. »


" Ne pas dépendre d’un homme c’est primordial"


As-tu eu peur de perdre tout ça avec la retraite ? D’ailleurs tu aurais pu partir en retraite plus tôt ?


« Oui j’aurais pu partir à 60 ans et je suis parti à 65. Il y avait deux raisons en fait. Au départ c’était surtout financier. En partant à 60 ans je me serais retrouvée avec une petite retraite parce que j’ai travaillé 15 ans à mi-temps à partir de la naissance de mon second enfant. J’aurais gagné environ 400 euros net de moins par mois.

J’ai continué à cause du côté financier mais aussi parce que j’avais de bonnes relations de travail et que j’avais peur d’arrêter de travailler, de m’ennuyer, d’avoir moins de vie sociale et de manquer de contacts, surtout que je faisais un travail d’accueil et que je rencontrais des gens toute la journée. Après un travail comme ça c’est difficile d’arrêter. Je me suis préparée doucement à la retraite dans ma tête durant les 5 ans que j’ai faits en plus. »


A un moment de ta carrière tu as donc réduit ton temps de travail pour élever tes enfants et cela s’est forcément ressenti sur ton salaire et sur le calcul de ta retraite. Pourtant c’était aussi du travail que tu fournissais chez toi à t’occuper de tes enfants ?


« Oui je travaillais mais je n’allais pas demander à être payée pour m’occuper de mes enfants ! Quand je m’occupais de mes enfants je travaillais mais pour moi, comme quand tu entretiens ta maison. Par qui veux-tu que ce travail soit rémunéré ? »




Et maintenant, comment se passe ta vie de jeune retraitée?


« Je suis à la retraite depuis début avril et tout se passe bien. Le travail ne me manque pas parce que je pense que je l’ai méritée [la retraite] mais le contact me manque toujours même si je vois régulièrement mes anciennes collègues.

Ce qui me plaît maintenant c’est de pouvoir partir quand je veux, de faire ce que je veux au moment où j’en ai envie, de ne plus être tributaire d’une demande de congés qui peut être refusée, de ne plus me lever tous les matins à 6h30 c’est plaisant aussi, il faut le dire… et tout simplement d’avoir du temps pour soi. Quand tu rentres à 19h après une journée de boulot tu ne fais plus grand-chose chez toi alors que là j’ai du temps pour faire ce dont j’ai envie. »


Tu as travaillé 46 ans pour le même employeur, quel regard portes-tu maintenant sur ta carrière ?


« J’ai eu la chance d’avoir toujours un emploi, d’avoir un salaire qui tombait tous les mois, de ne jamais avoir eu peur d’être licenciée. Ça m’a permis de faire des projets, de pouvoir acheter une maison alors qu’il y a des tas de gens qui se sont sentis menacés dans leur emploi. C’est aussi parce que j’étais une bonne employée je pense mais j’ai aussi eu de la chance d’être dans une boîte qui n’a jamais licencié. »


Tes rapports avec la hiérarchie justement, comment tu les qualifierais ?


« Je dirai que j’avais globalement une bonne direction, une direction avec qui on pouvait parler. A partir du moment où tu faisais ton travail on ne t’embêtait pas. Il n’y a jamais eu de grande vague de licenciement et ça se passait plutôt bien dans l’ensemble. A part en 1976 où il y a eu un grand mouvement de grève qui a duré un mois. On avait des petits salaires et ont avait fait grève pour avoir des augmentations et puis aussi pour une prime de transport et pour qu’on nous fournisse des blouses parce qu’on devait les acheter et les laver nous-mêmes. Mais au final on a presque rien obtenu. »


" De ne plus me lever tous les matins à 6h30 c’est plaisant aussi, il faut le dire…"


Tu étais syndiquée à l’époque ?


« Oui pendant cette période là j’étais à la CGT mais je n’y suis pas restée longtemps, seulement au moment où j’étais rebelle [rires] mais pas longtemps. »


Tu nous as dit plus tôt que tu avais eu de la chance d’être dans une boîte qui ne licenciait pas : le chômage te faisait peur ?


« Oui le chômage fait peur. Même si je n’ai jamais été menacée, j’ai connu la peur du chômage quand mon mari a perdu son emploi. Maintenant c’est vrai que j’ai peur pour mes enfants, mes petits enfants. »


Et aux demandeurs d’emplois ?


« Je dirais que j’ai du mal avec les chômeurs qui ne cherchent pas d’emploi….Que le chômage existe pour les gens qui se retrouvent sans emploi, c’est comme la CMU, c’est très bien, mais cela doit rester provisoire. Arrivé à un moment la personne qui peut bosser mais qui ne bosse pas je ne suis pas d’accord. »


A l’origine, qu’avais-tu suivi comme formation ? Quel aurait été le métier de tes rêves ?


« J’ai été embauchée suite à mon CAP d’employée de bureau que j’ai eu à 19 ans. Je n’ai pas pu faire les études que je voulais. J’aurais voulu être institutrice mais je n’ai pas pu car mon père ne m’a pas donné le choix. Comme il nous a élevés seul puisque ma mère était décédée [Christine est l’aînée de trois enfants] mon père m’a dit « tu vas aller dans cette école là et tu feras ce métier là ». J’ai fait des études qui ne me plaisaient pas au départ. Mon père a choisi cette école parce que mes cousines faisaient ces études là et que ma tante, qui s’occupait aussi de nous, avait conseillé à mon père de m’inscrire dans cette école. A l’époque pour être instit’ il fallait aller jusqu’au Bac puis faire l’Ecole Normale ce qui aurait été beaucoup plus long. »


Tu as des regrets par rapport à ça ?


« Je me suis dit c’est comme ça. Peut être que j’ai manqué d’ambition et de courage pour reprendre mes études plus tard. Et puis je n’avais que le certificat d’études et le CAP cela aurait été compliqué de tout reprendre… »


Tu penses qu’il est plus simple d’accéder à la formation aujourd’hui ?


« Moi j’ai changé de poste mais sans changer de grade et sans véritable augmentation de salaire en dehors des augmentations au bon vouloir de la direction. Je pense que maintenant c’est plus facile d’accéder à des promotions, on a plus d’outils à notre portée pour progresser et se former au long de sa carrière. Peut être qu’à l’époque si cela avait été comme ça j’aurais peut être pu faire la formation pour devenir institutrice. Peut être que ça existait, on ne m’a jamais proposé et je ne me suis jamais battu pour non plus. »




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