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L'amour est dans le Capital

  • Molluscum Contagiosum
  • 5 déc. 2016
  • 8 min de lecture

Mes amis et moi, nous avons décidé de se lancer dans le journalisme. Bon pas n'importe quel genre de journalisme non plus, puisqu'on est un peu de gauche. Il paraît. Et là encore, pas n'importe quel genre de gauche non plus. On parle de la vraie gauche. Là aussi, il paraît. Nous sommes donc censés faire un journalisme qu'on a qualifié de « populaire », c'est-à-dire qui s'affranchirait des codes journalistiques classiques pour utiliser des méthodes plus… populaires. Entre autre.

Du coup c'est un peu étrange de s'intéresser à Donald Trump dans un premier article qui est censé s'émanciper des codes classiques alors qu'absolument tous les journaux parlent de lui en ce moment. Et tout le monde même, sur son mur Facebook, sur son compte Twitter et aux terrasses des cafés. C'est peut-être ça un sujet populaire. Mais quand même, j'ai des choses à dire.

Bon du coup pour ceux qui vivraient sur une autre planète, c'est Donald Trump qui vient d'être élu nouveau président des Etats-Unis, la première puissance mondiale, la crème de la crème, le pays de Retour vers le Futur et de Michael Jackson par exemple. Avec un système électoral assez différent du notre, puisque les électeurs américains votent, état par état, pour des grands électeurs censés représentés un des candidats, et que le système s'est mué en un bipartisme assez étrange (voir encadre numéro 1). Républicains d'un côté, plutôt la droite pour nous faciliter le travail, et les Démocrates, du coup plutôt la gauche. Là encore une fois, il paraît. Et du coup, pour résumer, Donald est devenu le représentant des Républicains sans que ceux-ci soient tous particulièrement d'accord, mais c'est le jeu mon pauvre vieux, quand tu gagnes la primaire tu gagnes le parti.

Une campagne présidentielle coûte tellement cher (environ 800 millions de dollars), qu'il est quasiment impossible pour un candidat non soutenu par le parti Démocrate ou Républicain d'accéder à la Maison Blanche. L'évolution historique et politique des Etats-Unis n'a pas permis l'émergence d'autres partis forts et suffisamment riches pour envisager sortir du bipartisme.

Bon jusqu'ici vous me direz, rien de bien incroyable. La droite a gagné, ça semble une tendance assez générale en occident, qu'est-ce qui se passe pour qu'on nous fasse tout ce tintouin avec le père Trump ? Et là, n'importe qui vous dirait que le mec est un raciste, sexiste et inexpérimenté de la politique et que c'est la fin du Monde et tout parce qu'il a prévu (ceci n'est pas exhaustif) de construire un mur entre les USA et le Mexique, de virer tous les clandestins, d'interdire les musulmans sur le sol américain et de tuer le nouveau système d'assurance maladie mis en place par Barack. Et là bon, fin de la discussion, c'est pas cool, en fait c'est un mec d'extrême droite qui s'est fait élire et on fonce droit dans le mur. Ce qui n'est pas faux, le mec a eut des discours d'extrême droite je ne le nie pas, et je le conteste. Moi j'aime bien les endroits où les murs n'existent pas, et j'aime bien les musulmans et qu'on soigne les malades gratuitement. Par contre, j'ai quelques désaccords avec tout ce qui se passe. Parce que, en fait, j'ai l'impression que tous les médias ont passé leur temps à se foutre de sa gueule et qu'aujourd'hui ils continuent, se plaignent, crient au loup et surtout, mettent tous ses électeurs dans le même grand sac. Si le mec est un raciste, misogyne, assoiffé d'argent et de pouvoir, c'est forcément que celui qui vote pour lui est exactement pareil. Comme-ci tous les électeurs de Clinton étaient des femmes aux dents longues qui ont changé de look et d'attitude tout au long de leur vie pour s'adapter au contexte et monter les échelons. Et comme-ci tous les électeurs de François Hollande étaient aussi drôles qu'impopulaires. Et que les Lepénistes vénéraient tous Jeanne d'Arc. En fait, quand j'entends ça, j'ai l'impression qu'on nie totalement les processus qui amènent les gens à aller voter pour quelqu'un, et qu'on considère qu'il faille adhérer à tout ce que dit une personne pour voter pour lui. Mais, si c'était le cas, le taux d'abstention serait de 98 % à chaque fois. Quand il s'agit de voter pour le moins pire, c'est faire son devoir de citoyen. Mais quand les idées des citoyens déplaisent, ce sont forcement des gros abrutis racistes. Les mecs ont essayé de discréditer Trump et ses électeurs pendant toute la campagne, il est élu, mais ils continuent de ne prendre personne au sérieux. Ils prônent la démocratie mais se plaignent quand ça ne va pas dans leur sens. INSUPPORTABLE.

Putain, voilà que je me sens presque obligé de le défendre. Ça aussi c'est insupportable. Si les médias ne faisaient pas un travail de propagande, je pourrais être en train de regarder un épisode de Black Mirror plutôt que d'essayer d'écrire cet article. C'est comme cette histoire de Burkini en fait, quand t'es un peu à vouloir défendre les opprimés comme moi, tu te mets à défendre le Burkini alors qu'on s'en fout. Que toi aussi tu trouves que c'est de la merde, mais bon, vu que dans ta tête tu mets la liberté au sommet de la hiérarchie de tes valeurs tu te retrouves ni une ni deux au devant de la scène à défendre à bout de bras un vêtement que tu connaissais pas deux mois auparavant. Et me voilà encore à contre courant à défendre celui que tout le monde a décidé de détester. Le Voldemort utile des quatre prochaines années qui fédère tous les défenseurs de la « démocratie » sauce capitaliste. Mais, les mecs… Personne se pose la question de pourquoi il est élu ? Personne n'a envie de comprendre ? Ça m'étonne quand même que 25 millions de personnes soient racistes, homophobes, sexistes et tout le paquet. On fait quoi des femmes qui ont voté pour lui ? Des gays ? Des noirs, latinos et compagnie ? Bon, loin de moi l'idée de vous expliquer ici ce qu'ils pensent tous, ses électeurs. Je ne les connais pas. Je ne suis pas américain. Et dans le fond, je m'en tamponne pas mal, j'ai toujours trouvé que ce pays était insupportable de A à Z. Je préférerais qu'on me parle des problèmes locaux et des solutions que sont en train de chercher les conseillers municipaux de ma ville. Mais bon, à l'heure de l'Instagrammisation du monde, même les centres d'intérêt ont l'air de s'être uniformisés. Ça n'a plus de bon sens ma pauvre dame.

En plus, si vous voulez mon avis, les médias s'en fichent pas mal de sa politique raciste et franchement pas très portée sur le social à Trump. Tout ce qu'ils critiquent, à longueur de temps, c'est le protectionnisme, sa proximité avec Poutine, son manque d'expérience, son idée bien précise de la Chine, son programme économique. Tout ce qui fait peur à tout le monde, c'est qu'il ne fasse pas parti du bon groupe d'habitués à dominer le Monde (même si le mec est milliardaire), et qu'il fasse vaciller les rapports de force et le cours parfait du libéralisme. Avec Clinton, on était sûr que tout reste comme c'était, ce qui est très confortable quand on est au sommet de la pyramide. C'est sans doute pour cela que personne ne prête attention aux raisons du vote des 25 millions de Trumpistes. Peut-être, je ne sais pas je m'avance, mais peut-être que les gens en ont marre en fait. Marre d'un système qui exclue et marre de ne pas croquer le beau gâteau que le Capitalisme avait promis à tout le monde. Oui je sais, je parle beaucoup du Capitalisme. Je vous renvoie à mon introduction sur mon « gauchisme ».

J'entends aussi partout que, si Trump est élu aux USA, ça veut dire qu'il faut se méfier de Marine Lepen en 2017 en France. J'ai du mal à voir le rapport. Pour moi, c'est ce qu'incarne Donald qui a fait se mobiliser les gens. Autre chose, l'anti-politicien, le fauteur de trouble. Marine, mais Marine enfin, c'est le système, c'est la frange un peu incorrect du spectre politique. L'adversaire qu'on aime avoir, la tata un peu glauque qu'on invite quand même à Noël. Si on veut vraiment comparer avec la France, on devrait plutôt se dire qu'il faut faire attention à la candidature de Cyril Hanouna, là on serait dans une comparaison pertinente. Bah oui ! Une chose dont on parle peu en parlant de Trump (on parle de son attitude déplacée et de son succès dans les affaires), c'est de son émission de télé-réalité, The Apprentice. Sorte d'Amour est dans le pré du capitalisme, le show montrait un Trump en chef d'un groupe d'apprentis prêts à tout pour devenir le nouveau roi du business. Il s'asseyait dans son gros fauteuil de chef charismatique et décidait de qui allait continuer l'aventure, et de qui allait la quitter. Pendant douze ans, les spectateurs américains ont regardé ce gros bonhomme plutôt drôle décider de qui vivait et qui mourait. Pendant douze ans ils l'ont vu dans leur salon, ce mec qui a réussi, ce mec qui prend des décisions, qui dirige. Le jour où il est devenu candidat, les spectateurs, devenus des électeurs potentiels, se sont rappelés de lui, ce Valérie Damidot américain, et ils ont voté. Puis ils sont rentrés chez eux pour sauver leur candidat préféré de Koh-Lanta via leurs smartphones.

Toute la journée la télévision alterne entre informations et émissions de télé-réalité. On alterne entre Moundir et François Hollande dans un gloubi-boulga hypnotisant, oubliant bientôt qui fait quoi et qui a dit quoi. Les émissions mélangeant pop et politique en rajoutant un coup, on se retrouve avec des candidats à la présidentielle en train de faire des blagues à Yann Bartès. Et puis, finalement, on voit plus vraiment la différence entre le divertissement et la politique, les codes se ressemblent, on vote, on élimine, on fait des ragots, on critique, on sympathise, on se montre, on en rajoute des tonnes pour attirer l'attention. Moi personnellement, j'ai un doute sur la présence de Benjamin Castaldi à la primaire de la droite. Ça se pourrait. Quitte à voter pour quelqu'un, pourquoi pas voter pour celui qui mange avec nous tous les soirs depuis douze ans, et qui a su montrer qu'il savait prendre des décisions difficiles. Loin de moi l'idée de faire ce que j'avais critiqué plus haut et de résumer le vote des électeurs de Trump à un excès de débilité. Je pense juste qu'à force de transformer la politique en divertissement télévisuel, on a favorisé l'élection d'un clown télévisuel comme Trump, et qu'on pourrait se retrouver avec un Hanouna à l'Elysée dans quelques années. Le serpent s'est mordu la queue et les dominants sont tombés dans le piège qu'ils avaient eux-mêmes posé par terre. A force de s'accaparer les décisions politiques et la vie de la cité, à force d'acharnement pour faire croire aux citoyens que la Politique est compliquée, qu'elle est l'affaire de professionnels, qu'il faut s'y connaître, qu'il ne faut pas s'en mêler, à force de demander aux gens de voter de temps en temps et de fermer leurs bouches le reste du temps, quitte à les matraquer quand ils protestent trop, nous nous sommes détachés de la politique. A force de faire du processus démocratique un spectacle au lieu d'en faire une affaire sérieuse avec les gens, nous avons voté pour un des rois du spectacle. Personne n'avait trop prévu ça, le truc est parti un peu trop loin, trop vite. Les gens en haut de la pyramide ils voulaient juste qu'on continue de voter pour eux, ils voulaient nous vendre du rêve et nous abrutir pour qu'on continue de les laisser entre dominants gérer notre petite vie de merde. Et puis ce gros lourdeau de show-man est venu tout gâcher. Le bouffon utile se retrouve avec la couronne sur la tête et il va falloir assumer pendant au moins quatre ans maintenant.

Alors quelque part, même si ça m'embête pour les américains parce que, dans le fond et pour tout le monde, ça risque d'être quatre années pas super faciles, ça me fait quand même rire. La politique s'est toujours immiscée dans la télévision, et aujourd'hui c'est la télévision qui s'est immiscée dans la politique, et je peux pas m'empêcher d'avoir envie d'applaudir devant ce magnifique troll. On se moque des électeurs arriérés de Trump mais en fait, peut-être qu'ils ont tout compris et qu'ils envoient le plus gros FUCK de tous les temps aux dominants. Moi, c'est ce que je vais retenir en tout cas, auto-persuadé et avec une dose de cynisme, que Trump et tous ceux derrière lui sont en fait la première pierre de la fin du Capitalisme.

Hanouna 2022, ça vous tente ?

Molluscum

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