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DÉLIT DE FACIÈS

  • Matthieu
  • 27 nov. 2016
  • 5 min de lecture

Dérive sécuritaire, État autoritaire. Depuis un an la France vit dans un « état d’exception » qui n’a d’exceptionnel que son nom. Et si commençait la psychose… ?

Moins de 10°C au thermomètre mais le soleil nous réchauffe. Je me dirige avec ma femme à la contre-manif de Serquigny (Eure 27). Contre-manif car le FN a appelé à une manifestation « anti-migrants » devant la Mairie ce samedi 5 novembre 2016. Moi aussi, je surfe sur l’imprécision du FN. Ce ne sont pas seulement des « migrants », mais plutôt des « exilés ». Certains ont même demandé l’asile, bien que beaucoup s’en abstiennent pour rejoindre un jour l’Angleterre. Nuance. Concrètement, ils ne veulent pas d’étrangers dans leur belle et verdoyante Normandie. Pour ma part, c’est au niveau de la salle des fêtes que je me rends. La Libre pensée, la Ligue des Droits de l’Homme, Ras l’front et d’autres organisations ont appelé à une contre manif de soutien à l’accueil des réfugiés.

Équipé pour l’hiver, bonnet, écharpe et barbe non rasée depuis plusieurs semaines, je file dans ma voiture vers le lieu de rendez-vous. Arrivé à l’entrée de Serquigny, au bout de cette longue ligne droite, je vois dans le rond point, trois gendarmes qui filtrent l’entrée du village. Le premier me fait signe de ralentir. Ca va, je ne roule pas si vite. Je lève le pied. Le second me regarde et hop ! Réaction, bras tendu. Il me fait signe de m’arrêter sur le côté. Moteur coupé :

- « Vous vous rendez à la manifestation ? »

- « Oui »

- « Vous êtes du côté contre l’accueil ou pour l’accueil des migrants ? »

Je ne m’attendais pas à celle là. T’as vu ma tronche mec !

- « Du côté POUR l’accueil »

Permis de conduire en main, il se dirige vers son véhicule. Je le vois noter mon identité sur une liste. Fiché. En deux secondes sans l’avoir vu venir. Je ne sais dans quel but intervient ce fichage. De plus, aucun papier d’identité n’est demandé à ma femme. Étonnant. Je lui dis, en repartant, qu’à mon avis ils contrôlent tous ceux qui arrivent et qui semblent être des manifestants. Nos potes ont sûrement dû subir le même interrogatoire.

Et c’est là que je me trompe. Non, mes amis n’ont pas été contrôlés. Quelles raisons pouvons-nous invoquer à une telle différence de traitement ? Pour mes amis, c’était une femme qui conduisait, est-ce la raison ? Ont-ils des têtes qui reviennent plus aux gendarmes ? Ou simplement le fruit du hasard ? Je reste suspendu à cette question.

Pourquoi moi ?

Je m’interroge à quelques jours de la parution du décret instituant un fichier commun aux passeports et aux cartes d’identités : Titres électroniques sécurisés (TES). Un fichier de 60 millions de personnes. Ce fichier contiendra les informations concernant l’état civil, couleur des yeux, taille, adresse, filiation des parents, l’image numérisée du visage et sans doute des empreintes digitales. On y trouvera de plus, l’image numérisée de la signature, l’adresse email, les coordonnées téléphoniques et encore bien d’autres informations. Ce fichier a été décidé et validé par le gouvernement sans aucun débat démocratique ni parlementaire. Un passage en force qui nous inscrit de plus en plus dans un univers Orwellien. Ficher l’ensemble de la population pose de nombreuses questions. Qui va l’utiliser ? Et pour en faire quoi ? Et si un parti politique xénophobe arrive au pouvoir, on risque quoi ?

N’oublions pas la situation dans laquelle nous sommes. Depuis le 14 novembre 2015, nous vivons en État d’Urgence. Situation exceptionnelle, mais qui dure. Le Gouvernement permet à la police (autorité administrative) de contrôler, d’interroger, d’assigner à résidence, de suivre des citoyens pour leur probable atteinte à la sécurité de l’État, sans aucun contrôle de la justice. On peut alors aisément imaginer les conséquences de ce « Fichier Monstre ».

Ce qui doit nous faire réfléchir, c’est aussi le comportement des élus. En 2012, M. Jean-Jacques URVOAS, alors chef de file de la contestation chez les socialistes, cri à l’atteinte aux droit et au respect de la vie privée des citoyens. Ce monsieur est aujourd’hui Ministre de la Justice et a participé à l ‘écriture de ce texte. On retourne sa chemise.

Vous croyez que rassembler toutes nos informations dans un fichier unique sur les ordinateurs des ministères, qui sont pour la plupart peu sécurisés, doit nous rassurer ? L’histoire récente nous a prouvés que les hackers sont susceptibles de voler des données ; Twitter et les Etat-Unis. En 2015, L’OPM (Office of Personnel Management) des Etats-Unis a subi une cyber attaque qui a fait fuiter 21,5 millions de fichiers dont 1,1 millions d’empreintes digitales. Cet organisme gouvernemental est chargé de la gestion et du recrutement des fonctionnaires américains. Quant à Twitter, le 8 juin 2016 c’est 32 millions d’identifiants et de mots de passe qui ont été volés par des hackers. L’État qui invoque la volonté du risque zéro depuis des décennies, construit lui-même un risque énorme pour nos droits, nos libertés et le respect de nos vies privées.

Là, vous me direz que ça sent la psychose. C’est vrai que je n’ai pas été fiché au titre du TES. Mon erreur fut de ne pas demander aux gendarmes l’objet de ce fichage et les conséquences d’avoir mon nom inscrit sur une liste. Où va finir cette liste ? Quel dessein dessert-elle ? La surprise a empêché tout raisonnement. En quoi mon physique et mon attitude ont pu laisser entendre aux gendarmes que je méritais cette inscription ? Mon nom dans les cases d’une feuille A4 volante. La feuille de ceux qui sont peut-être, éventuellement susceptibles de poser problème lors de la manifestation ? Précaution ou délit de faciès sur ma personne ?

Cette expérience, sans doute insignifiante, m’interroge sur la dérive sécuritaire de notre société et sur le fichage quasi systématique des citoyens qui s’opère depuis les attentats. Contrôle automatique lors des manifestations, assignation à résidence de militants écologistes, etc. Je fantasme en imaginant ce qu’a pu penser le gendarme en me voyant : « Ok, il est jeune, il a une écharpe et un bonnet, tout l’attirail du « casseur » qui vient en découdre. Faut prendre son identité au cas où. S’il y a débordement, on aura des noms ».

Vous me direz que c’est sans doute de la paranoïa, et vous avez peut-être raison. Mais chaque petit acte banal, de répression, de sécurisation, de liberté bafouée, même insignifiant pour la plupart des citoyens est un recul de notre démocratie, de nos libertés fondamentales et interroge notre rapport à la société. Le fichage peut-être vécu comme une intrusion dans notre intimité, dans nos valeurs, ce qui fonde notre identité et qui s’inscrit maintenant dans des fichiers.

Hier j’ai été fiché pour mes idées politiques…

Matthieu

Sources :

Mr Mondialisation : https://mrmondialisation.org/60-millions-de-francais-fiches/

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